Bora Bora, l’île mythique par excellence, belle, tellement belle vue du ciel. Décevante en elle même, toute sa splendeur est dans son lagon. Parfaitement navigable, offrant de nombreux abris, le lagon de Bora est sans doute la perle du Pacifique, car c’est encore du lagon que monte ce vert fluorescent qui fascine.Bora Bora c’est aussi l’Île des artistes tatoueurs: Il habite une charmante maison, à l’opposé du quai des ferries. Est il Polynésien ? Seulement de culture car il est venu à Tahiti, dans le même mouvement que ses parents, il avait 18 ans, il passa alors son bac, et rentra au Centre des Métiers d’Art de Tahiti.
– Quelle a été ta première image forte en arrivant à Tahiti ?
– Avant de venir ici, Tahiti, c’était pour moi: Les vahinés et les cocoteraies, pourtant, une fois arrivé ici, ce qui m’a fait craquer c’était les tatouages. C’est une véritable découverte, c’est une nouvelle forme d’expression. En France le tatouage est figuratif.
– Comment as-tu commencé à tatouer ?
– J’ai commencé à tatouer au centre des métiers d’art avec quelques copains. J’ai dû rester deux ou trois ans sans être tatoué et en tatouant les autres..
– Comment as tu décidé de recevoir ton premier tatouage ?
– Je crois que le tatouage est toujours un coup de tête, en fait c’est une tatoueuse de passage qui m’a dit: veux-tu un tatouage ? Elle m’a montré son book, il y avait de superbes photos, pourtant j’ai été déçu par l’irrégularité de son travail. J’ai fait ensuite retoucher ce tatouage par un copain, qui était lui aussi fatigué, et a encore fait un travail irrégulier. Je viens tout juste de demander à une autre tatoueuse qui vient de s’installer à Bora Bora, de régulariser la longueur des pointes et d’augmenter le motif.
– Et ton second tatouage ?
– Je me suis tatoué moi-même la jambe droite, parce que je suis gaucher. Et le premier a été la tortue sur la malléole. – Mais cela fait particulièrement mal cet endroit là, non ?
– Je le voulais là, et je n’ai pas tenu compte de l’éventuelle douleur ou difficulté de réalisation. J’ai tatoué cette tortue sur la malléole à cause de sa forme qui lui donne un volume réel.
– Quelle machine utilises-tu ?
– J’ai commencé pendant environs deux années avec la machine artisanale bricolée avec un rasoir de voyage, mais j’en ai eu vite assez, et j’ai acheté une machine professionnelle. Il me semble impératif d’avoir du bon matériel si on veut faire du bon travail. Enfin, dernièrement je viens de m’équiper d’une machine américaine, nettement meilleure que la machine française que j’utilisais avant.
– Es-tu tatoueur ou illustrateur.
– Le tatouage n’est pas la seule chose qui me plaît, en fait je suis bien plus un illustrateur, j’adore absolument faire ça. J’aime aussi dessiner des tee shirts, des affiches. Ou encore la peinture, je m’éclate vraiment en peignant, les couleurs c’est fabuleux, c’est réellement une autre dimension.
– Par exemple ?
– Je tatoue un ami qui est peintre et sculpteur, et c’est agréable de le tatouer parce qu’il sait bien ce qu’il désire, la spirale sur son bras est le motif de Bora. Comme la spirale de la tortue de la malléole de mon pied, on retrouve la spirale. Personne ne sait exactement son origine, certains disent que c’est la représentation d’un coquillage, d’autres disent qu’ils s’agit de la spirale de la vie, que chaque petit trait qui la rythme marque une date, un point de repère dans l’existence
.- Que penses-tu du pouvoir ou de la magie des symbole ?
– Il existe dans l’art du tatouage et dans les motifs tribaux quelque chose de magique, de mystique, c’est fondamental. Pourtant, il ne faut pas imaginer faire cela à un touriste qui passe trop peu de temps avec le tatoueur. Le touriste veut un souvenir, il veut enrichir son séjour par une séance de tatouage, c’est fort comme vécu. Mais pour les symbole magiques, il faut un contact plus lent, plus approfondi que la démarche directe du touriste.Et puis je ne grave jamais un symbole négatif, jamais rien qui ne soit pas harmonieux. J’estime qu’on n’a pas le droit de graver dans la peau des images sales ou violentes ou encore peu harmonieuses. Il n’y a que le positif qu’on ait le droit de graver puisqu’en définitive l’important est bien plus le moment que le résultat.
– Comment cela ? Le moment plus important que le résultat ?
– La plupart du temps, j’oublie le tatouage mais je n’oublie absolument pas le moment pendant lequel cela s’est passé. Les gens ne sont pas de la viande, c’est la relation qui s’installe pendant la séance de tatouage qui va faire toute la différence. Il y a surtout le moment qui importe, si le moment n’est pas bien choisi, le tatouage sera mal intégré. Si par contre le moment est bien choisi, le tatouage sera harmonieux. Bien plus fort encore, je garde souvent des relations avec mes anciens clients, ils écrivent, ils reviennent me voir, à la fin on mélange tout: L’art, la relation et le souvenir d’un moment fort.
– Et les moments ou les tatouages ratés ?
– Je ne ferai jamais quelque chose que je n’aime pas, du genre diable, tête de mort ou toute chose moche. Là je refuse. On ne doit pas faire quelque chose de moche. Par contre il y a des idées qui ne te disent rien, qui te laissent neutre, mais qu’on peut tatouer pour suivre l’envie du client. Par exemple un américain est venu me demander de lui tatouer une tête de bœuf car il était éleveur. J’ai fait mon travail et il était content. C’est cela qui m’a rendu aussi content mais je n’ai pas vraiment pris mon pied en tatouant une tête de bœuf. Enfin il existe des gens que je ne peux pas tatouer, cela m’est arrivé bien des fois de refuser de tatouer des gens , parce que je les sentais mal, et je ne sacrifie pas mon art.
– Tu n’acceptes pas de concession ?
– J’ai tout un tas de motifs américains, je ne les propose jamais, je n’aime pas le figuratif, il faut du symbole, il faut de l’harmonie, cela doit avoir un sens et embellir le corps. Je ne crois pas qu’un tatouage figuratif puisse embellir le corps. Mon style de tatouage c’est le tribal et que ce soit Aztèque, Maya, Nord Américain ou encore Polynésien. Là ou réellement je ne fais pas de concession c’est qu’on ne peut pas tatouer par boulot simplement. On doit y trouver son plaisir.Cette première rencontre d’un tatoueur à Bora Bora semble intéressante, il semble que la quantité, la qualité et la diversité des tatoueurs se trouve ici, à Bora. Je continue mon pèlerinage et faisant le tour de l’île. A vrai dire Huahine offre des paysages plus variés, elle est peut-être la plus belle des île de la Société. Bora Bora est incontestablement le plus beau des lagons. Il vaut mieux louer une barque plutôt qu’une voiture. Tout se passe au lagon. C’est là, sur une plage, que je rencontre un jeune tatoueur, lui aussi sorti de l’école des métiers d’art, il ressemble à un bon élève. Son profil est la rigueur, il aime réaliser des copies rigoureuses d’objets anciens. Pourtant en observant ses carnets de croquis, on se rend facilement compte qu’ il est aussi capable de faire preuve d’une créativité riche et élégante.
-Tu te présentes comme sculpteur, n’est ce pas ?
– Je fais de la sculpture des arts du Pacifique, sur tous les supports: Du bois, de l’os, des cailloux Je sculpte aussi des gros cailloux. Près de la machine à tatouer j’ai un petite sculpture en os de baleine, il est d’influence Maori de Nouvelle Zélande. J’aime bien l’art Maori. J’aime bien ce qui bouge. Dans le tracé Maori, il y a deux motifs, l’un qui est noir et l’autre qui est blanc. Le blanc fait ressortir le noir et inversement. En fait tu as deux motifs à la fois. Un exemple en est le motif que j’ai tatoué sur la jambe de mon frère. On pourrait aussi bien sculpter ce type de travail en gravant le blanc en creux et en peignant le reste en noir.
– Tu as tatoué ton frère avec des motifs Maori, est-ce une passion pour toi ?
– Oui, l’art Maori est vraiment grand, tu as souvent un grand tiki, ensuite tu en as un autre là, puis encore un autre, tous imbriqués les uns dans les autres, superposés. J’aime bien ce qui est difficile à travailler.
– Sculpteur, tatoueur ou comment pourrais-tu te définir ?
– Je suis un simple artiste polyvalent.
– Quels sont tes projets actuels ?
– Je suis en train de construire un atelier, on va y trouver toutes les sortes de sculptures, de la peinture et le tatouage, bien sûr. J’ai envie de montrer des vraies sculptures, des vrais tikis. J’aime bien faire des sculptures exactes, des copies d’ancien. Par exemple des vrais casses têtes, mais je dis bien des vrais. Il ne faut pas trop inventer, les ancêtres ne les mélangeaient pas. Par exemple, quand c’est un motif des Marquise, c’est Marquisien, il ne faut pas mélanger les styles de chaque archipel qui doivent conserver leurs particularités propres.
– Cette attitude semble nouvelle, beaucoup d’artistes disent qu’il ne faut pas copier, mais simplement s’inspirer des motifs anciens, et toi ?
– Tu peux le faire, pour t’amuser, tu peux tout mélanger. Pourtant, quand je fais une copie, il faut que ce soit exactement comme l’ancien, les mesures, les motifs, et tout le reste.
– Et pour parler du tatouage ?
– Quand j’étais à l’école des métiers d’art, j’ai commencé, et je me suis entraîné à tatouer sur les copains. Je n’ai jamais voulu me faire tatouer moi-même. En fait cela choquait beaucoup de monde que je sois tatoueur sans être tatoué du tout. A chaque fois que les gens viennent se faire tatouer, ils sont toujours étonnés de me voir sans tatouage, alors ils disent: « Tu tatoues, et comment se fait-il que tu n’as pas de tatouage ?
Au Tiki village, ils sont tous tatoués, quand ils viennent ici, il trouvent ça normal que je sois tatoué.
– Ce n’est pas banal comme motivation…
– Et pourtant c’est bien pour cela que j’ai commencé, il y a huit mois, à me tatouer moi-même, et je continue. Le motif du genou, par exemple a été fait il y a cinq jours seulement. Pour mes tatouages, j’ai choisi l’art Marquisien, j’aime bien les gros motifs avec beaucoup de remplissage.
– Que t’as apporté ton expérience à te tatouer toi même ?
– il faut dire que ça fait mal, et il y a des parties qui sont difficile à atteindre, mais c’est très intéressant de se tatouer soi-même. J’ai voulu réaliser tous les motifs, le plus précisément possible et sans fantaisie, la reproduction de chaque motif est exacte. Plus tu montes vers le haut de la cuisse, plus tu as de grandes zones de remplissage, et des motifs plus grands, et plus c’est difficile d’accès pour l’arrière.