Il est bien tôt le matin quand mes nouveaux amis polynésiens viennent me prendre, je termine en vitesse mon déjeuner tant frugal que matinal, le soleil n’est pas encore levé, il est tout juste six heures.
– Un tatouage de qualité se faut le matin car la peau dort encore et le sang est pâteux laisse tomber l’imposant tatoueur. Il est habillé d’un grand paréo qui lui couvre les épaules et masque en même temps un gros panier qu’il garde serré sous le bras.
Tout cet accoutrement le rend encore plus impressionnant.
Nous voici en chemin vers le motu, (îlot), nous sommes trois, le tatoueur, le candidat au tatouage et moi-même.
Nous passons en équilibre sur les poutrelles rouillées du vieux pont et nous nous arrêtons sous un groupe d’arbustes à quelques pas du lagon.
Le coin est splendide, les dégradés de couleurs si polynésiennes viennent saturer l’imaginaire.
Une brise tiède ride seulement la surface de l’eau parfois éclaboussée d’un bouillonnement cela vit fort au lever du soleil.
Le coin est bien « habité »: quelques pierres plates forment un rond autour d’un foyer éteint.
Le tatoueur s’installe à terre, prépare ses affaires. Son client s’assied, pose sa cheville sur la cuisse du tatoueur.
Le dessin consiste en quelques simples lignes de montage, essentiellement des alignements qui lui permettent de faire un travail « en ligne ».
Il tatoue avec une machine dite « Tahitienne » et qui est composée d’un rasoir de voyage modifié afin de mouvoir un bâtonnet sur lequel sont surliées trois aiguilles à coudre du modèle le plus fin.
Il tatoue à main levée un rond d’épaule qui a été réalisé en trois séances: tout d’abord la partie centrale, qui écrit en de grandes lettres décorées et maquillées, le mon du client. La seconde séance permit de réaliser une tortue encadrée de deux tikis, l’un masculin et l’autre féminin.
Nous assistons à la troisième séance qui permit de faire la réalisation du soubassement, et qui représente une figure abstraite à base d’un thème marin. Il continuait à tatouer, le calme régnait, interrompu par le bruit de la machine, le client serrait les dents, quand un groupe bruyant et moqueur envahit le lieu.Un feu est immédiatement mis en route, nous allons manger du poulet grillé, la préparation du repas est longue, il n’est que 9h30, et nous allons manger vers onze heures…
Après avoir terminé le soubassement du rond d’épaule, le tatoueur disparut, laissant tout son matériel sur le paréo: il est parti nager un peu.
– Tatouer est un exercice qui demande une attention soutenue, l’effort n’est pas physique, mais il est fatiguant, commente le tout nouveau tatoué qui ne quitte des yeux sa nouvelle peau.
Le second candidat porte sur le bras gauche deux lignes horizontales entre lesquelles sont tracés quatre grand cercles. Le tatoueur a la mission de terminer le bracelet.Il commence par dessiner une tortue sur le côté extérieur.
Cette tortue a un air de famille assez net avec la tortue de l’épaule du premier client, c’est le style de ce tatoueur, de la même façon, les deux tikis des deux sexes représentés de profil, dos à dos, sont un motif caractéristique du tatoueur.Après avoir dessiné un motif dans chaque rond existant, il s’est attaché à tout remplir au moyen de motifs variés: triangles, rayures etc…
Pourtant, puisque tout est réalisé entièrement à main levée, il ne faudra pas exiger une parfaite régularité.
Ce qui est d’autant plus appréciable car cela différentie bien l’œuvre de chacun, dans le mouvement global qui définit le style de l’artiste.Le client s’affaire maintenant autour du feu, son tatouage tout neuf lui donne des ailes, il est content.
Le tatoueur range ses affaires, nous allons manger: du pain, des boites de pâté et corned beef, et quelques cuisses de poulet deviennent un repas de fête, mais sans alcool, il est presque midi, du soda et du jus frais, qui accompagne ce bien rustique pic nique, semble parfait, il doit faire bien chaud au soleil, mais, à l’ombre, avec une petite brise de mer, cet espace est idéal.