Si il parle lui même de la révolution de l’art dans les îles Polynésiennes, il est très certainement parmi les principaux auteurs de ce mouvement. Si il est capable de réaliser aussi bien une imitation d’ancien, un instrument de musique, avec sa marqueterie, il est tout aussi capable de barbouiller des toiles avec l’impunité d’un Picasso. Cherchez-vous un très grand artiste tahitien ? Vous le trouverez au fond de la vallée de Faanui à Bora. Cherchez-vous une oeuvre d’art au « mana » ébouriffant? Attention à ne pas vous brûler les doigts, les oeuvres du tahua sont issues d’un autre monde:
– Il y a deux artistes qui m’ont fortement marqué c’est César et Picasso. Ah, Picasso, il peint comme un enfant. Et tu vois les pétrographes de nos ancêtres, quand ils les font, c’est un peu tordu, c’est pas trop droit, et c’est comme ça que je dessine, avec l’esprit de l’enfant que l’on retrouve chez Picasso.
– Tu dessines aussi sur la peau ?
– Je fais du tatouage seulement pour des amis. Pour moi, le tatouage, c’est uniquement pour jouer, il y a plein de jeunes ici, qui veulent les motifs marquisiens, haka, alors je leur dis d’aller chez le tatoueur de Faanui. Par contre quand un ami me dit: imagine un motif pour moi, alors j’invente ses motifs. Ce que j’aime c’est la nouveauté, je n’aime pas tellement les motifs haka.
– Comment as-tu commencé à sculpter, à peindre ?
– C’était quand j’étais petit, je devais avoir cinq ans et ça s’est passé comme si j’étais ensorcelé, j’avais envie de toucher toutes les choses, j’avais envie de voir, et puis c’est surtout les cauchemars pleins de tupapau.
Alors, à partir de seize ans, je suis rentré à l’école des métiers d’art et ceci pendant trois ans. Une fois que j’ai fini mes études, je suis venu à Bora, pour pouvoir travailler tranquillement, c’était en 91.
– A cinq ans, tu as été comme ensorcelé?
– J’ai été adopté à Huahine, je suis né à Bora et mon père adoptif m’a emmené à Huahine, et souvent, dans le champ, il me disait plein de choses. Par exemple: vers cinq heures du matin, on monte dans la montagne, et il me dit, chutttt, écoute. Et là j’entends les musiques anciennes. Attention, il me dit: Il ne faut pas faire du bruit, et il faut y aller avec le vent en face, pour pas qu’ils sentent ton odeur. Et il me dit: Regarde; et j’ai vu; en réel, quand j’étais petit, maintenant je ne les vois plus qu’en rêve.
– Tu les vois en rêve, mais que vois-tu ?
– C’est souvent, on dit que je suis en mission, ils me donnent des missions difficiles, pour savoir comment je suis, si je suis gentil ou pas. J’ai réussi toutes les mission.
– Quel genre de mission ?
– Par exemple, quand je travaillais à réaliser les sculptures de l’hôtel Nara, j’ai eu une drôle d’expérience. Dans mon rêve: Je marche, je marche, j’entends une voix qui dit: suis moi, suis moi! Je m’arrête, je réfléchis, et je vais en arrière, et là je vois un lézard. Un lézard énorme, grand comme un arbre, j’ai couru devant l’église, devant le temple du pasteur, le lézard continue à me poursuivre, je vais dans une cabane, il me suit, il est vert, la lumière qui sort du lézard est verte, je sens que lui, il pourrait m’attraper, puis j’ai couru, couru jusqu’au manguier, et là, j’ai su que je vais le tuer. Là, je me retourne et je le tue, avec trois bâtons dans le ventre.
– Qu’as-tu fait de ce rêve, l’as-tu sculpté ou peint ?
– Celui-ci est un rêve que j’ai peint. L’esprit, le lézard peut se transformer en requin ou encore en homme. Le lendemain matin, j’ai entendu une mama qui disait que les japonais ont fait leur discothèque sur le marae du lézard, c’est là que j’ai compris le rêve. C’est comme ça que je l’ai peint mais surtout que j’ai accompli ma mission en tuant le lézard.
– Les rêves sont donc ta source d’inspiration ?
– A chaque fois dans les rêves, il y a des tupapau qui veulent m’attraper, je vois des îles super jolies, je veux y aller, mais c’est comme si les ancêtres voulaient attraper mon âme. Pourtant, à chaque fois, je deviens plus fort, j’ai plus confiance en moi-même, j’ai accompli ma mission dans mes rêves. Je deviens chaque fois plus fort et chaque fois, je tue le tupapau. (Tupapau: Fantôme).
– Est-il facile de peindre ses rêves ?
– Chaque fois que je vois, dans mes rêves, c’est comme un éclair de savoir qui passe. Je n’arrive pas à l’attraper en entier. Ensuite, je ferme les yeux et là je ressens ce que je touche, en volume, je sens la matière. C’est pour ça que je fais mes peintures en volume.